Fastnet : récit de la course à bord d'un Nicholson 33 avec au final le prix de persévérance

Entre émotion, contrariétés et joies maritimes, le récit du Fastnet à bord de Seabird illustre les contrastes de cette course centenaire. Du Solent aux côtes irlandaises, l’équipage a affronté la mer, les erreurs de stratégie et les avaries, avant de franchir la ligne à Cherbourg avec la satisfaction d’avoir mené le Nicholson 33 jusqu’au bout.
Participer au Fastnet, c’est affronter l’un des parcours les plus exigeants de la course au large. Pour un équipage amateur et un Nicholson 33 âgé de 50 ans, l’aventure prend une dimension particulière. Retard pour le convoyage, erreurs de stratégie, avaries en mer et joie d’atteindre enfin le phare mythique : ce récit raconte la traversée d’un équipage déterminé, où la persévérance compte plus que le classement.
L’attente avant le départ

Quelle émotion d’assister à l’extraordinaire organisation d’accueil de Cherbourg : le ballet des machines de course arrivant à quai, la sensation d’être bien petit et décalé face aux voiliers des concurrents, mais avant tout, la fierté de prendre part à cette régate. Voici ce qui occupa les heures à attendre mon équipage, retardé d’un jour par un colis non livré, puis encore par une panne de voiture sur la route entre Vannes et Cherbourg.

Nous serons le dernier bateau, hors ultimes et IMOCA a quitter Cherbourg, mais cela aura au moins permis de caler un passage au JT de France 3 régional.
Une nuit aux côtés des grands noms de la voile

Nous naviguerons jusqu’à l’aube pour arriver dans le Solent rattrapés par voilier plus rapides partis en fin de nuit. Émotion forte de naviguer alors aux côtés de Sidney Gavignet que j’avais rencontré il y a des années au Yacht Club de Cape Town alors que j’étais sur ANNKA un Garcia 62 emmené de Turquie au Brésil, et que lui participait à la Volvo Race. Quelle nuit nous avions passée !

Et ce bateau, le Cigare Rouge d’un de mes marins emblématique VDH, qui nous avait attribué le prix d’élégance aux régates du Bois de la Chaise à l’aube des années 2000 avec le Chassiron GT de mon père. Aussi au milieu de Class40 fascinants ou Petits Princes, l’IMOCA d’Elodie Bonafous… La course n’avait pas commencé, mais déjà les souvenirs s’accumulaient.
Les difficultés du Solent

Le manque de préparation et le départ précipité vers Cowes empêchèrent l’équipage de trouver une bonne synergie pour se mettre en mode course. Peu importe, nous faisons partie de la flotte et je vis alors l’objectif construit depuis plusieurs mois : Emmener mon Nicholson 33 sur le Fastnet, pour ses 50 ans et les 100 ans de la course seulement un an après l’avoir acquis.
Nous courrons en IRC4, dans le balai des habitués. J’admire la fluidité des manœuvres des équipages rodés, j’envie la précision de leurs actions. De toute évidence, sur Seabird c’est moins fluide. Le Solent tient sa promesse : Courant contre vent.

Aidés de bon sens et d’observation, nous tenons une position correcte dans la flotte, jusqu’à ce que ce nuage menaçant éclate avec le grain qu’il annonçait. Le cisaillement vent et courant est trop fort pour ce petit voilier qui devient non manœuvrable. Le temps d’adapter la voilure et de reprendre un cap appréciable, de comprendre ce comportement soudain hasardeux et nous sommes balayés par la renverse. La mer devient courte, haute, violente, comme un champ de mines.
Cap sur l’Irlande dans la brume

Enfin nous passons les Needles, cette sorite du Solent est une libération. Mais comme c’est l’habitude en juillet, nous naviguons vent de face, juste dans l’axe de notre route ves le Fastnet. Nous optons pour aller chercher du vent au Sud, espérant une vaine plus forte et un meilleur cap. Mais les barreurs successifs considéreront la situation autrement. Je découvre à la fin d’un repos profond pour rattraper la nuit de convoyage très brève, que nous remontons au près serré à la perpendiculaire de la côte.
Je prends sur moi pour ne pas ternir l’ambiance fragile. Nous cravachons tant bien que mal au près serré jusqu’aux Scilly où à mon tour je prendrais la décision stupide de passer au sud de la zone de séparation du trafic. L’incertitude d’une rotation du vent engagée et dont je redoutais qu’elle nous impose de tirer des bords sans fin contre courant, l’absence de fichier météo à jour, les nerfs déjà saccagés par la violence des coups de boutoir de la coque à chaque vague prise de front, la déception du manque de fluidité dans les échanges à bord, la confusion de penser que la route serait encore longue. Bref, cette mauvaise stratégie fera de nous des figurants au classement et je ruminerai en silence ma profonde contrariété.
Avaries et persévérance

Reste la joie d’être en mer, l’absurde réjouissance de l’inconfort total, trempés, salés, épuisés, bousculés à chaque instant, de face dans une mer formée dont les embruns froids viennent régulièrement rappeler la rigueur. Pour passer le temps nous nous amusons à énumérer les plaisirs de la terre que nous voudrions savourer. Tout y passe, du grand lit sec au magret de canard pommes sarladaises, du bain brûlant au bord d’une piscine sous le soleil.
Mais en réalité, pour rien au monde je n’aurais troqué l’instant, chaque moment est intense et la dureté qui donne tant de saveur au réconfort, ouvre aussi les portes de l’esprit. On oublie le corps, on chevauche ses pensées, le sillage écrit nos rêves, exhorte nos considérations sur le monde, sur la vie comme elle se fait, sur le temps passé et qui passe encore. Naviguer est un chemin dans l’esprit autant que sur les cartes.
En route vers le Fastnet



Nous montons ainsi pendant trois jours – ressentis dix ! – vent toujours de face, entre 15 et 30 nœuds sur une mer parfois grosse pour arriver à flirter avec la côte irlandaise, tirant des bords carrés. Plusieurs fois nous aurons la surprise de voir paraître des concurrents, bien plus grands, dont nous croiserons la route en louvoyant, regonflant dans mon cœur ce qu’il restait d’espoir de nourrir l’orgueil de ne pas fermer la marche… Mais ils font 12, 15 mètres et filent plus vite que nous. Nous l’aurons voulu ce phare. Et sans les instruments modernes, nous l’aurions bien cherché.

Lorsqu’enfin nous approchons, une brume épaisse et dense nous enveloppe de son calme. Mais ça y est, il est là ce phare, bien là dans l’étrave. Moment suspendu. À ses pieds un pêcheur y travaille et le décalage du mythe me prête à sourir. Cette course, ce phare redouté, qui semble terrible depuis mes lectures d’enfant, cet îlot qui pourrait être l’île Noire de Tintin, nous le voyons intime, enveloppé de brume, tonné du pop pop d’un petit bateau de pêche qui borde sa côte.
Il en reste un mélange de soulagement, de joie, de satisfaction d’y être. Il y la de la magie maritime, de l’imaginaire, de faire partie cette course mythique.
Nous troquons le solent (foc de brise) gréé après les Scilly pour le grand génois, alors que nous sommes rattrapés par un concurrent. Sur ce superbe 48 pieds, l’équipage nous fait la chaleur de ses encouragements. Le vent remonte quand nous sortons de la bulle de brume et nous envoyons le grand spi asymétrique


C’est parti pour une cavalcade déchaînée où, grisés par la présence de concurrents et par celle d’avoir passé le phare et d’être sur la route du retour, nous poussons Seabird à pleine vitesse. Il part dans des surfs sans fin dépassant allègrement 10 nœuds.
Ça tire fort pour lui. Je le sais, je le sens, mais cet orgueil dormant négocie ardemment contre la prudence.
Crac, le spi est à l’eau…
Et comme souvent… cela se paye en bateau. C’est Corentin qui en fera les frais. La ferrure de tête de mât sur laquelle est prise la poulie de drisse de spi cède sous la pression d’une claque dans une dévente. En battant, l’écoute frappe l’avant-bras de l’équipier et la voile libérée se retrouve à la mer. J’observe le début de la séquence depuis le hublot de la cabine. Je crains d’abord que ce soit le bout-dehors, monté à La Trinité, qui aurait fini par tout arracher sous la pression.

Heureusement pour Corentin, la blessure n’est pas trop grave et se limite à un gros hématome. J’aide l’équipage à remonter la voile à bord depuis l’étrave. Heureusement, elle est intacte. Mais nous n’avons plus de drisse de spi. Nous renvoyons le génois et une fois le bras soigné, je refuse de céder à la fatalité. Nous affalons la voile pour hisser le spi sur sa drisse. Ainsi nous atteindrons les Casquets 2 jours à peine après avoir viré le phare. Quelle navigation ! C’était absolument formidable.
Enseignements d’une traversée

Reste la classique pétole en arrivant sur le Cotentin : vent et courant de face. Il nous faudra encore longtemps pour finalement relier Cherbourg après 6 jours de course au total. Quelle émotion d’entendre avec un flegme tout britannique, les congratulations du comité de course à la radio, au bout d’une nuit a pester contre une énième dévente. Nous fermons la marche, mais finalement… puisqu’il faut un bateau pour fermer la marche, puisque nous sommes accueillis en pleine nuit par le directeur de course, puisque nous recevrons le prix de la persévérance… Et puisque nous l’avons fait ! Ne valait il mieux pas finir dernier que n’importe où dans le classement ?

Seabird a un peu souffert, quelques fissures aux pieds des cadènes sont apparues, cette ferrure en tête de mât qui a cédé. Le génois et le solent bien fatigués. Mais j’ai tellement appris de ce bateau, tellement vécu cette aventure débutée dès le mois de décembre par l’esquisse du projet.
Je n’ai qu’une envie, continuer ! J’ai contacté le conservatoire maritime du Havre ou le bateau sera hiverné pour continuer sa restauration et sa préparation à la saison 2026. J’ai désormais tout le temps de solidifier les partenariats techniques, financiers, humains, pour continuer d’étayer mon projet maritime global, de participer aux courses et d’essaimer la culture d’une certaine plaisance, autour de la simplicité et du plaisir de faire.
Conseils techniques
Une pensée pour mes jumelles Steiner Navigator passées par-dessus bord après 8 ans de bons et loyaux services. Petit conseil pratique : portez une attention particulière à l’égard des cordelettes de déclenchement de gilet baladeuses. L’effet est très désagréable lorsque celle-ci se prend dans la bosse de ris en pleine manœuvre. Ce qui met en évidence qu’il ne faut pas oublier de partir avec des cartouches de rechange pour réarmer le gilet.
Un commentaire aussi concernant la sécurité. Sans internet à bord, nous n’avions aucun moyen de capter la météo, ni VHF – je m’attendais à un trafic plus dense donc relais possible et évidemment les cargos appelés avec leurs identifiants ne répondaient pas – ni radio Blu au large. Je ne voulais pas de Starlink, mais le choix est-il encore possible ?

Remerciements
Je rends ici encore un hommage à mes partenaires, NITBY bien entendu sans qui rien n’aurait pu se faire, mais aussi MattChem grâce à qui j’ai si souvent été gratifié de sympathiques commentaires sur l’état de mon Nicholson vieux de 50 ans, Milwaukee pour la qualité de son outillage, AD Le Havre pour son soutien inconditionnel, Le Havre Yacht Service pour ses conseils et son accompagnement, La voilerie Cherbourgeoise pour avoir géré notre solent si vite, Axe Sail Cherbourg qui détenait LA manille d’enrouleur qui nous a permis de naviguer après que je me sois aperçu de sa disparition juste avant le départ.
Je remercie aussi chaleureusement familles et amis ayant directement ou indirectement participé au projet par leurs dons et mots de soutiens.